jeudi 9 mai 2019

Apprendre en faisant et avec les autres


"c'est en faisant que tu peux apprendre. Si vous me demandez comment, j'en ai aucune idée (A.O. in Mobile Repair Culture, vol. #4, 2018)

Introduction

En Haïti, le secteur économique informel de la vente et de la réparation des technologies mobile est en soi un milieu d’apprentissage où des professionnels s’organisent entre eux pour acquérir les compétences nécessaires pour l’exercice de leur métier : généralement munie de tablettes numériques, de téléphones mobiles ou d’ordinateurs portables, de matériels rudimentaire et de prises d’électricité, cette population de jeunes, d’adultes, d’hommes et de femmes, majoritairement âgée entre 22 et 35 ans, se forme quotidiennement en vue d’assurer leurs services de recharge de téléphones, de dépannage, de décodage, de déblocage, d’adaptation de pièces, de programmation ou de reprogrammation, de réparation de pièces totalement endommagées, de vente de minutes d’appels, de téléphones ou d’accessoires téléphoniques. Installés à travers les rues, ils exercent leurs fonctions de manière spontanée en apprenant sur le tas, entre pairs et via l’internet branché sur leur téléphone, leurs tablettes ou leur PC.
« Nous mettons la technologie en valeur … nous reparons [les machines] … nous les mettons en fonction pour que l’humanité puisse en profiter » (RodrigueP04, 9 mars 2018)


Dans ce contexte de travail particulier, l’outil technologique est à la fois utilisé comme accessoire, comme activité de revenu, comme moyens pour apprendre le métier et développer de nouvelles compétences :
« Je me suis dit si j’ai un téléphone androïde et que je peux venir observer alors il me manque quoi ? je n’ai qu’à faire une recharge minimale de dix (10) gourdes ensuite faire un plan, aller sur Google ou sur n’importe quel autre moteur de recherche ensuite taper : introduction à telle science, format pdf, téléchargement gratuit, et on vous donne le document. Ensuite, à l’aide de ces documents que je lis, et des images aussi qui valent mille (1000) mots, je regarde les images ce qui me permettent de me souvenir de ce que j’ai lu, ce que j’ai regardé quand je viens ici et ça facilite aussi mon intégration… » (RodrigueP04, 9 mars 2028)
Cette recherche contribue à la réflexion sur le concept d’apprentissage informel en faisant état des actions, des interactions, des modes d’organisation qui influencent l’apprentissage des vendeurs et réparateurs des technologies mobiles sur le marché informel en Haïti et le développement de leurs compétences. L’intérêt de cette étude est de rendre compte de ces processus d’apprentissages dans un milieu informel et, sur une échelle plus large, approfondir la réflexion sur la reconnaissance des apprentissages informels et pouvoir apporter des réponses appropriées aux besoins d’apprentissages diversifiés des individus.
Le concept d’apprentissage informel étant polysémique il n’est pas aisé de pouvoir l’appréhender selon une approche unique « puisqu’il se définit de différentes manières selon différentes significations (Schugurensky, 2007, p.4). Dans le cadre de cette recherche, nous avons choisi de l’étudier selon trois composantes interreliées : les actions, le contexte social et les trajectoires. Pour cela, trois axes théoriques furent mobilisés :  
-          1) premièrement, la théorie instrumentale de Rabardel (1995) pour analyser les actions mobilisées dans le but de s’approprier les outils technologiques dans une situation informelle, ainsi que les usages qu’on fait de ces outils ( transformations, taches et des activités de réparation) et le développement de nouvelles compétences au travers des processus d’actions;
-         2)  deuxièmement, celle de la communauté de pratiques Wenger (2005) en vue de pouvoir expliquer l’influence des circonstances du milieu sur les compétences acquises, ainsi que les relations entre les actions mobilisées, les structures sociales, les ressources et les contraintes existantes;
-          3) et enfin, l’influence les trajectoires scolaires, familiales et culturelles sur le développement des compétences acquises et mobilisées au regard de deux approches théoriques d’évaluation des compétences proposées par LeBortef (1998) et Dominice (1999).
n    


Processsus d’apprentissages et de développement de compétences en situation informelle

Apprentissages médiatisés par les NTIC
(Rabardel, 1995)

Communauté de pratiques
Wenger (2005)

Parcours de développement des compétences.
Le Bortef (1998); Dominice (1999)
La combinaison de ces trois axes a servi à décortiquer comment se produisent les apprentissages dans le contexte informel de la vente et de la réparation des TMIC au regard des actions, des pratiques sociales et culturelles et des expériences personnelles. Dans le souci de respecter les restrictions de place nous ne mentionneront que les résultats en lien avec le premier axe. Dans un premier temps, nous présenterons brièvement la méthodologie à la base de cette recherche et dans un second temps, nous exposerons 1) les démarches d’apprentissages mobilisées par les professionnels du secteur informel pour s’approprier des outils technologiques et apprendre le métier, 2) les activités réalisées dans le cadre de l’utilisation des outils technologiques.

Méthodologie 

La méthode ethnographique à la base de cette thèse doctorale sur les processus d’apprentissages informels a permis de s’immerger dans l’univers des pratiques des professionnels de la vente et de la réparation des TMIC exerçant dans le secteur informel en Haïti. On débuta par l’exploration de terrain avec des informateurs, afin de connaitre le milieu de recherche et aussi pour acquérir le langage approprié pour mieux s’intégrer. Comme le souligne en effet Hine (2000), une étude ethnographique consiste à participer « overtly and covertly in people’s daily lives [to collect] whatever data that are available …. or that emerges from the study … to throw light on the issues that are the focus of research”.  Cette phase pilote du projet permis également de reconsidérer certains outils et certaines questions et surtout de développer les stratégies pour trouver le juste équilibre entre l’immersion dans l’action et la distanciation par rapport aux détails des observations participantes. Une fois les réseaux de participants identifiés et constitués, nous procédions à des entrevues et des observations in situ répétitives auprès de dix-huit participants afin de comprendre comment ils acquièrent leurs connaissances du métier de la vente et de la réparation des technologies mobiles sur le marché informel. Les participants furent, chacun invité à se donner un nom de code qui leur plaisait ainsi que leur consentement à participer à l’étude. Cette période d’observation participante et de rencontres individuelles s’étala sur dix-huit mois, de janvier 2017 à juin 2018: les entretiens varièrent entre une trentaine de minutes à deux heures, tandis que les observations de terrain pouvaient durer une heure ou une demi-journée, dépendamment des disponibilités des participants et du groupe.
 Dans un deuxième temps, en vue d’éviter de trop interférer dans les pratiques des professionnels et de risquer de provoquer, par voie de conséquences, des comportements trop équivoques, des périodes d’échanges et d’observation via WhatsApp furent apportées à l’étude. Cette dimension virtuelle apporter à la collecte de données est qualifiée de « virtual objects of ethnography » (Hine, 2000). Elle offre au chercheur ethnographe, particulièrement ceux intervenant dans des milieux instables, comme des milieux informels, la possibilité « to be an invisible observer » et de laisser le site d’observation « undisturbed » (Hine, 2000). Cette dimension permit de saisir un maximum de détails sur les comportements réels des participants dans l’usage des TMIC et aussi sur le langage utilisé dans les partages de connaissances et les processus interprétatifs (Fontaine, 2012, p. 10).
En plus des partages (vidéos, images, textes, voices) sur les groupes, il fut, dans certains cas, demandé aux participants d’approfondir certaines réflexions émises lors des premiers entretiens.
Le codage et analyse de données fut effectué en vue d’avoir une lecture globale de toutes les observations et entretiens. L’analyse du corpus de recherche fut basée sur l’approche d’analyse thématique des données qualitatives (Braun & Clarke, 2006). Lors de cette première analyse nous avons repéré les segments des discours qui sont connectés aux indicateurs tirés du cadre théorique (theoritical thematic analysis) et ceux issus des significations données à l’objet d’étude par les participants (data driven thematic analysis). Pour réaliser cela un manuel de codage fut d’abord créé et soumis à l’évaluation de quatre autres chercheurs.  Trois d’entre eux appliquèrent l’approche inductive du codage ce qui nous permis de revoir certains concepts et d’en considérer de nouveaux dans le manuel. Le quatrième chercheur testa le manuel. Cette opération permit de valider la fiabilité du manuel.
Une fois le manuel validé, nous analysâmes les données récoltées pour les dix-huit participants à l’étude. Les entretiens audios et individuels furent considérés comme les données principales à coder et les autres données WhatsApp, vidéos, notes de terrain et images furent ajoutées au besoin pour la description; l’interprétation ou juste comme supports aux citations. Un résumé de chaque codage fut dressé et inséré dans une matrice pour l’analyse thématique. Une lecture transversale des données saisie sur la matrice thématique permit de construire des « patterns, themes… making contrasts or comparison … building a logical chain of evidence and making conceptual/theorical coherence » (Miles, Huberman & Saldana, 2014, p. 243).
Cette dernière étape a permis de faire ressortir 1) les différents profils des participants: apprentis, vendeurs, réparateurs et vendeurs, dépanneurs, artisans, vendeurs et réparateurs appelés « Boss » à cause de leur statut de propriétaires de shops et de formateurs d’apprentis mais qui opèrent également dans le secteur informel, 2) les contrastes et les similitudes entre les activités de ces différentes communautés de professionnels, 3) de construire un premier socle de compétences acquises dans l’exercice du métier en particulier dans les rapports avec les clients, 4) d’élaborer un mode de système d’apprentissage et aussi un répertoire des facteurs influençant ces apprentissages et le développement des compétences en situation informelle.

Appropriation des outils technologiques et apprentissage du métier de la vente et de la réparation des TMIC

Indépendamment du profil du participant nous avons identifié deux groupes d’actions liés aux démarches des professionnels pour l’apprentissage des outils et du métier de la vente et de la réparation des TMIC
A-      Les apprentissages autonomes

A-    Les apprentissages autonomes  

Cette première catégorie concerne les démarches personnelles mobilisées pour apprendre le métier de la réparation, du dépannage et de la fabrication en situation informelle. Elle fait état des stratégies cognitives utilisées telles que : l’autodidaxie, la mémorisation, l’observation, le questionnement, la méditation, de curiosité, l’imagination mais aussi des stratégies de contrôle, de régulation, d'orientation mobilisées pour atteindre les objectifs personnels d'apprentissage visés telles que : l’expérimentation, les apprentissages dans l’exercice du métier, avec l’internet, avec les autres.
1-       Les stratégies cognitives :
Autodidaxie : Selon Carré (2003) "la notion d'autodidaxie vise les apprentissages indépendants des institutions d'éducation formelle" (Carré, 2003). Dans le cadre de cette recherche les participants font généralement mention du bon sens, de la mémorisation, de recherches personnelles, de médiation pour apprendre leur métier.
 « … d’ailleurs il n’y avait pas encore internet lorsque j’ai commencé à faire des recherches, j’allais   dans des bibliothèques. Je consultais les livres encyclopédiques. Quand je ne comprenais presque rien, je regardais les images.  Les images s’expliquaient d’elles-mêmes (DumaxP17).
« J’ai cherché, cherché tout seul … j’ai fouillé dans chaque menu, j’ai cherché à savoir ce qu’ils voulaient dire … et bien c’était mon bon sens, dans la carte qu’on nous donnait, si la personne écoute souvent les infos. DIGICEL avait réalisé beaucoup de spots sur la façon de mettre la carte *121* ensuite mettre le chiffre 4 … une personne peut apprendre le métier à l’école mais selon moi, si elle a le bon sens, elle l’apprendra par elle-même (Luckson1P16)
La différence entre les artisans et les réparateurs dans ce métier est que les premiers aiment à travailler seuls, ils imaginent beaucoup et aiment découvrir.  Leur apprentissage est concret car ils doivent créer, mais il répond surtout au besoin d'apprendre et de découvrir. Contrairement aux réparateurs pour qui l'apprentissage est lié au besoin économique immédiat.  Chez les réparateurs, la motivation à apprendre est surtout liée à la production et au gain économique qui en découle.
Apprentissage par observation :  Pour certains réparateurs l'observation participante est la meilleure stratégie d'apprentissage. Les formateurs, dans ces cas-là ne s'investissent pas personnellement dans l'enseignement du métier. L'important, selon eux, est d'avoir le bon sens et la motivation. Selon Dasen (2002), dans le quotidien, l’apprentissage se fait avant tout par « l’observation et l’imitation, c’est-à-dire l’apprentissage incident, il peut aussi être intentionnel, se faire avec un maître qui dirige l’attention, procède par démonstration guidée, et possède en fait toute une pédagogie implicite » (Dasen, 2002). Cet apprentissage est aussi appelé apprentissage fortuit (Schugurensky, 2007).
 « … à vrai dire, si quelqu’un aime le métier et qu’il veuille l’apprendre. Il peut s’installer près de   moi et m’observer et il l’apprendra. Si la personne se présente plusieurs fois auprès de moi, il   observe comment réparer les pannes téléphoniques et il l’apprend » (MicheP10).
Apprentissage par questionnement : dans la rue la transmission est orale, et elle se fait dans la langue locale. On assite souvent à une déformation/adaptation de la langue étrangère pour une meilleure compréhension au niveau local. 
« Quand la personne est en apprentissage c’est mieux, il apprend plus rapide   mais  pour la théorie, c’est des questions qui lui permettront d’avoir la théorie  si elle ne me pose pas de questions pour que je lui réponde, elle n’aura jamais de théorie » (JamesbondP13).
Curiosité/ Imagination: chez les apprentis et les artisans, la curiosité l’imagination représentent des leitmotivs dans l'apprentissage et la découverte. Créer un circuit de connexion à l'encre de plume et de l'acide de batterie ou installer des vis sur un téléphone en bois pour les touches requiert de l'imagination et de l'expérimentation. Un d’entre eux, fait le lien entre son parcours professionnel et académique et sa curiosité: cette faculté, selon lui l'a toujours conduit à vouloir s'informer et se former.  Cette faculté a aussi été développé grâce à ses parcours d’apprentissages diversifiés.
« Déjà je suis quelqu’un de très dynamique … j’ai beaucoup d’objectifs et je ne suis jamais satisfaite. Bien que je sois dans ce domaine, j’essaie toujours d’apprendre un autre métier …dans une   autre faculté quelconque » (Majroie005P05).
2-       Stratégies de contrôle, de régulation et d’orientation mobilisées pour atteindre les objectifs personnels d'apprentissage visés
Apprentissages par expérimentation : selon Dasen (2002), l’apprentissage par essais et erreurs est moins fréquent dans les situations quotidiennes, surtout s’il y a des enjeux économiques" (Dasen, 2002). Toutefois, on observe dans le cadre de la création, de l’invention en situation informelle que les professionnels procèdent plus par essais, erreurs et remédiation. L’apprentissage se réalise moins avec les autres que par réflexion personnelle. Quel qu'en soit le cas, l'apprentissage du métier de la réparation est lié à la pratique. Ces pratiques visent essentiellement la performance des taches à réalisées pour gagner de l'argent. Selon les professionnels, le secteur informel est non seulement un lieu d'apprentissage mais aussi un espace d'expérimentation pour ceux qui sont en formation académique. Il représente un laboratoire.
« Par exemple il y a des trucs que j’ai appris dans les versions   1.1, 1.2, ça me permet de créer mon propre programme. Derrière mon écran, quand quelque chose sort   je me dis que je vais essayer tel programme que j’avais. Ça me facilite le travail. Je m’étonne et m’écrie : regarde quelque chose que j’ai caché depuis longtemps.  C’est ainsi que j’ai fait la chose » (AntmanP06).
« Pour faire fonctionner la carte mémoire, j’ai pris un téléphone, je l’ai étudié soigneusement mwen we kote   cerveau an ye e mwen retirel mwen voyel sou radio a et   mwen fel jwe kat memwa ( j’ai vu ou était installé la carte mère du téléphone et je l’ai enlevé pour le placer dans la radio et c’est ainsi que ma radio peut faire jouer une une carte   mémoire » (walanmouP03)
Apprentissages dans l'exercice du métier : Le secteur informel est comparé à une institution de formation « une faculté » on vient apprendre le métier de la réparation et du dépannage.  Les réparateurs mettent l'accent sur la différence qui existe entre les écoles professionnelles où on apprend l'obsolescence du matériel (les matériels défectueux doivent être remplacés) et la rue o on apprend à récupérer, à maintenir les appareils en vie pour une plus longue durée.
« Avec mes expériences j’ai compris que parfois au lieu de remplacer une pièce qui est   encore utilisable, on peut la réparer » (JamesbondP13)
« Par exemple s’il y a un nouveau   modèle pour pouvoir juste s’attribuer le mérite de l’avoir découvert. Je m’assure, à l’avance, que si   cette panne c’est moi qui la connais, je lutte pour la maitriser. C’est moi qui me suis spécialisé dans cette   branche alors je fais plus d’argent » (AntmanP06)
Apprentissages avec le net : l’internet représente une ressource de base dans l’exercice du métier. Il est généralement utilisé pour compléter les apprentissages réalisés sur le terrain avec leurs pairs soit en faisant des recherches personnelles sur l’explorer ou en interagissant avec d’autres professionnels sur des forums. Il fait le lien entre les apprentissages locaux et globaux.
« Parfois vous avez besoin de faire quelque chose dans le téléphone vous ne savez pas   comment l’ouvrir. Vous allez sur YouTube afin de vérifier comment on fait pour ouvrir ce modèle. Le blanc[ii] vous donne la vidéo et vous explicite comment faire. C’est très facile à faire » (AugustinP09).
« Il y a toujours des trainings, des groupes de   WhatsApp, des « unlockers » etc. c’est ce qui vous aide énormément. Par exemple il y a des forums. Le soir, quand je rentre. Je prends le temps de les consulter, une heure au minimum. Ils discutent, ils disent qui est le plus doué » (AntmanP06)

B-     Les apprentissages en interactions avec les autres

Entre les réparateurs et vendeurs de rue il existe une relation implicite ou pas qui s’installe et qui est conditionnée par le convivialisme. Cet accord existe selon des critères communs, un répertoire de normes (conventions, langages, règles etc.) que l’on s’entend de respecter pour rester dans la relation. La durée du temps de formation dans cette relation varie selon les besoins d’apprentissages de l’apprenant, de son niveau d’alphabétisation, de sa motivation, de son bon sens et aussi de la limite des compétences du formateur. Les compétences du formateur sont, quant à elles, jugées par le groupe social (pairs et clients) puis évaluées par l’apprenti.  L’apprentissage informel requiert une collaboration avec les autres de sa communauté qui jouent le rôle de guides, d’accompagnateurs et de validateurs.
Les apprentissages en situation informelle sont donc sociaux et situés puisque pour se réaliser ils impliquent la participation à des activités collectives dans une forme d’organisation (Wenger, 2000). Ces activités, selon Wenger (2005), réfèrent à un ensemble de pratiques pour le partage de connaissances, pour l'intégration, l’accompagnement etc. On assiste à une interdépendance entre les pratiques des différents membres d'une ou de plusieurs communautés. Mais aussi à une interdépendance entre les différentes pratiques et l'existence même de ces communautés. "L'individu est un social...il nait dans un milieu social donne, vit en symbiose quasi permanente avec son environnement social, interagit avec de multiples autres dans des systèmes d'action collectifs varies, en vue de finalités sociales plus ou moins partagées" (Carré, 2003, p. 76).
Dans cette catégorie nous retrouvons les modes de relations avec les autres pour apprendre, les répertoires (implicite et explicite), les modes d’intégration, les types d’engagement et d’activités collaboratives pour l’apprentissage du métier.
Apprentissages avec les autres: L'une des conditions nécessaires à l'apprentissage des métiers de la réparation et du dépannage est l'accompagnement de l'autre.  Brown (1998) states: “Humans are social beings, and, as posited by the constructivist theory of learning, they develop new understandings and knowledge through their social interactions with a community of others” (Carman, 2005). Cette condition est principalement la raison pour laquelle les professionnels s'associent entre eux pour acquérir les compétences nécessaires à l'exercice de leur métier. Ils n'ont pas forcément les capacités nécessaires pour représenter leurs expériences professionnelles en savoirs scientifiques. Mais ils développent mutuellement les habiletés de transfert/partage de leurs connaissances et les résultats sont validés dans la réalité. 
« Si par exemple, je vais auprès d’un autre technicien ça signifie que cette panne n’est plus un secret pour moi » (PierreP12)
« Si je peine à l’ouvrir je ne me complique pas la vie (mwen pa chache bay tet mwen pwoblem).  Je cherche quelqu’un qui soit capable de l’ouvrir » (StHubertP01)
« par exemple, quand je trouve telle panne, je vais   auprès d’eux et ils me montrent comment je peux tester les   pièces  … comment je peux les remplacer, beaucoup de choses » (Majroie005P05)
Engagement mutuel/ Entreprise commune :
Il s’agit ici des modes de partage de connaissances, des liens avec les autres (en ligne ou physiquement). L’écoute, la participation, les taches collaboratives sont observables et expliquées. Il y a une interdépendance entre les différentes communautés de pratiques. Entre le formateur et l'apprenti il s'installe un rapport de confiance. Le formateur est considéré comme un guide dans l'apprentissage il n'enseigne pas mais répond aux questions. L'apprenant a pour devoir de chercher à compléter seul sa formation à travers ses recherches et ses expériences (personnelles ou avec d'autres formateurs). Il est d'ailleurs encouragé à le faire. Les formateurs encouragent aussi leur apprenti à poser des questions et à apprendre sur le web. D'une manière générale il ressort que l'apprentissage se réalise avec les autres, soit en formation ou quotidiennement. Cette interconnexion garantie la survie de chacun d'eux dans la chaine de leur service de vente, de réparation et de dépannage.
« Je travaille de concert avec d’autres collègues. On ne peut pas exercer ce métier en étant égoïste. Il faut toujours avoir l’esprit de partage, sinon   vous ne progresserez pas » (AugustinP09).
« … c’est à l’aide de ces expériences que j’ai eu ces élèves. Ça veut dire quand je dis « nous » c’est les autres élèves, c’est-à-dire que j’avais des jeunes gens auprès de moi qui profitaient d’apprendre » (Lucson1P16)
Ainsi, ceux qui apprennent seuls le métier par routine, sans prendre le temps d’échanger avec les autres pour le maitriser avant de l'exercer sont fortement critiqués par leurs pairs.
« … beaucoup d’entre eux professent ce métier, ils ne le maitrisent pas, ils endommagent des ordinateurs, ensuite ils ne parviennent jamais à bien faire le travail pour lequel on les paie ; ils fournissent du mauvais service. C’est ce qui a entaché l’image de ce marché. Parfois vous pensez tout savoir, avoir de l’intelligence, pour…pouvoir. Comment pourrais-je dire cela, travailler seul dans un domaine qu’il ne maitrise pas, et il se casse le nez » (Majroie005P05)
« Parce qu’il y a des gens qui apprennent le dépannage qui ne savent même pas ce que c’est   l’informatique, qui ne savent rien, c’est la première fois qu’il va voir un appareil, il y a tout ça. Selon moi   c’est une perte de temps, la personne n’a rien appris » (JamesbondP13)
Répertoires (implicites et explicites)
Les activités, les interactions entre les différents membres des communautés les apprentissages en milieu informel se mettent pas en place selon des conventions, des normes et des règles établies entre elles. Ainsi, certaines informations sont retenues et ne circulent qu’entre les membres d’une communauté. La question éthique est aussi fortement discutée. Il y a des règles d'exclusion mais aussi des impairs qui sont excusables: l'important est de ne pas mettre la communauté en péril.
« C’est une tradition, une coutume. Nous sommes venus ici et avons trouvé les choses comme ça et nous faisons pareil » (AntmanP06)
 Les réparateurs et vendeurs de rue se distinguent entre eux selon leur profil. Ce profil se dessine dans la catégorie "PERCEPTION DE SOI" où le réparateur se présente comme un bohémien qui ne s'embarrasse pas des codes vestimentaires car ce ne sont pas des critères pertinents pour son travail. Ils développent aussi un langage, des gestes, des postures propres à eux.
« Disons que le microprocesseur est un moteur » (ArtP0)
 « … parce qu’il y a des « brasè kanpe ». C’est un businessman instable, aujourd’hui vous le trouvez ici, demain quelque part d’autre » (AntmanP06).
« … le blocus c’est quoi, puisqu’ils sont plus visibles alors ils mènent une politique dans la rue….C’est pour ça qu’on dit tout le monde n’a qu’un seul prix à la cathédrale, pourtant ce n’est pas vrai. Il y une politique pour faire croire au client qu’on agit dans son intérêt. « Bon, essaie d’aller plus loin, il y a deux personnes dans cette zone, c’est moi et un type de l’autre côté » (ArtP0)
« C’est ça le cœur content … c’est pour cela qu’on trouve beaucoup de slogans ici, on appelle cela : cœur content… Le cœur content c'est de l'argent » (PierreP12).
Par ailleurs, la communauté de réparateurs et de vendeurs de rue constitue une famille parce qu’elle se construit en réseau. Personne n’intègre le marché de la rue sans qu’il n’ait été introduit par un autre qui s’y trouvait avant lui.
« Pou integrew ou pa ka vin la konsa. Sa rele Kolonn » Tu ne peux pas t’intégrer seul sur le marché, tu   dois être introduit par quelqu’un. Cela s’appelle colonne. Tu dois avoir une colonne qui t’introduit. Quand il est là tu es là aussi » (MarcP18)

« Je suis ici grâce à un ami. On est venu ici et on a trouvé un ami. L’ami qui m’a fait venir ici avait un ami à lui ici et il m’a emmené avec lui » (PierreP12)
« A cette époque je n’étais pas encore sur le   marché. Je me suis intéressé à cela, quand un jour je passais par là et j’ai rencontré un ancien camarade de classe qui vendait. Je lui ai parlé et il m’a expliqué comment faire, il m’a dit « pa gen   problem ou met vin installew bo kotem [iii]» Il avait une petite table il me la passa et je me suis installé » (MarcP18)

Activités réalisées dans le cadre de l’utilisation des outils technologiques

Dans le milieu informel l'apprentissage est étroitement lié à la production. Ainsi les actes de réparation, de dépannage, de décodage de fabrication de matériels technologiques mobiles se trouvent au cœur des apprentissages des professionnels de rue. Cette nouvelle catégorie donne une vue d'ensemble des activités réalisées avec les outils technologiques. Elle comprend : les processus instrumentaux (activités de réalisation d’une tache, instrumentation des outils, création/fabrication de nouveaux outils), les activités de commercialisation (marketing, vente, l’organisation du travail).
Les processus instrumentaux
L’acte instrumental met en rapport le professionnel avec son outil pour le comprendre, le connaitre, le découvrir (seul ou avec les autres). Il s’agit « des processus formant une unité complexe, structurelle et fonctionnelle orientée vers la solution du problème posé. Ils sont coordonnés, et au cours de l’activité, définis par l’instrument ; ils forment un nouveau complexe » (Rabardel, 1995, p. 28).
La réparation : d’une manière générale les réparateurs divisent leur métier en deux branches : le hardware et le software.
1-       Ceux qui opèrent dans le hardware se qualifient en tant que réparateurs : réparations de microprocesseur, « flash », changements d’écran de téléphones, d’ordinateurs ou d’autres matériels défectueux (batteries, coques, écouteurs).  
2-       Ceux qui opèrent dans le software cependant relatent qu’ils font du dépannage : décodage, codage, programmation.
« Le Flash c’est quand le téléphone ne s’allume pas. Tu peux casser ton appareil et le téléphone ne s’allume plus. A ce moment tu as deux options. Sois-tu le RESET soit tu le flashes. Si tu le reset et que le téléphone ne s’allume toujours pas, à ce moment tu dois le flasher. Chaque téléphone a un modèle de flash qui lui est approprié » (MarcP18)
« … par exemple, je m’apprête à coder ce téléphone pour un client. Pour le faire j’ai besoin du net, car le   modèle doit s’afficher. Si j’essaie sans le net tu vois qu’il me dit quelque chose en Chinois …cela veut   dire qu’il n’y pas de net. Voilà, sans le net je ne pourrai pas réaliser cette commande. Dès que je me branche au net il s’affiche. Pour cela je vais procéder manuellement. Il y a plusieurs façons de faire le codage du téléphone. Il y a des codes qu’il faut acheter en ligne. Il y a aussi des matériels qu’on peut avoir pour le faire et il y en a d’autres il faut le faire manuellement… Cela peut arriver que le dépannage foire, à ce moment il faut reset le téléphone entièrement.  A présent je vais ajouter des fichiers et cela prendra encore une heure… » (MarcP18).
La vente : il y a ceux qui ne réparent ni ne dépannent mais qui font uniquement de la vente de téléphones et de matériels de rechange : batteries, coques, de chargeurs etc.
La fabrication : une troisième action est exercée sur la machine et elle correspond à ce que Edgerton (2008) définit comme la créolisation de la technologie « technologies transplanted from their place of origin finding use of a greater scale elsewhere (Edgerton, 2008, p. xiv). Il s’agit en effet, de la transformation des technologies en de nouveaux modèles estimés plus adaptés aux besoins et aux réalités du milieu :
Téléphone en bois AtèPlat
« Oui, je l’ai fabriqué en bois. Je bénéficie d’énormes avantages. La façon dont le mien a été conçu permet que le son soit intense même si vous avez des troubles de l’audition… … il a été conçu particulièrement pour les vieux et les gens de la campagne. Il ne perd jamais son signal. C’est l’avantage de ce téléphone. Il y a des petits téléphones, dès que l’eau les pénètre, ils se gonflent comme une femme enceinte… le mien n’est pas comme ça » (WalanmouP03, mars 2018)
« Mwen defome yon telefon certes mais mwen bal garanti (j’ai déformer un téléphone certes mais je l’ai amélioré) je le conçois avec la garantie que s’il tombe au sol Premièrement il ne s’écrasera pas, deuxièmement le signal est à l’extérieur. Comme je vous l’ai dit » (P03, mars 2018).
« Il vous faut de l’électricité et Internet mais pas forcément internet … le système robot est fait de deux façons soit que sa connaissance est déjà embarquée, sa connaissance est à l’intérieur  de lui, sur l’application, le processeur qu’il contient ou le téléphone, vous mettez toute sa connaissance sur le téléphone ou bien vous l’hébergez de   façon … c’est-à-dire si tout est embarqué sur le téléphone on n’aura pas besoin d’internet » (DumaxP17).
Robot humanoïde fabriqué à partir de matériels de rebuts et un téléphone portable
Ces actes de transformations portées sur la machine proviennent également d’une curiosité personnelle pour découvrir et créer. L’artisan prend le temps de présenter son nouvel appareil avec ses différentes fonctionnalités. Les transformations apportées à la radio pour améliorer son usage sont expliquées. Le choix de l'utilisation de matériels rudimentaires (thermos, boites de CD, CD, bougies de radios, matériel de PVC, roues de petites voitures, vis d’ordinateurs, de la poudre de bois etc.) sont expliquées.
Activités commerciales
 Le travail doit être organisé avec principe pour réussir dans le métier. Les réparateurs apprennent donc à faire le planning, la gestion de leur temps et de leurs rapports avec leurs pairs afin de garder de bonnes relations.
Les réparateurs et vendeurs de rues écoulent leurs marchandises ou offrent leur service de réparation sur place. Étant donné qu’ils n’ont pas d’espaces de stockage, ils se déplacent toujours avec leurs matériels sur le dos :
« Je pars toujours avec les matériels dans   mon sac. Puis je reviens le matin avec eux pour les vendre ici » (PapaGregueP02)
Les propriétaires de shops se trouvent le plus souvent logés au fond d’un couloir et par conséquent sont très peu visibles de la rue. Par conséquent, ils doivent négocier avec ceux installés dans les rues pour écouler leurs produits.
« Il répare aussi. Lui, il répare sur une table dans la rue sur une table à l’extérieur. Il n’a pas d’outils pour tester il vient auprès de nous … cela ne nous pose aucun problème parce qu’il y a des choses qu’il nous vend quand nous en avons besoin » (ArtP07).
« Il est l’une des personnes qui ont leur table au bord de la rue. Eux, ils n’ont pas d’endroit pour stocker des gadgets      mais ils sont plus visibles que nous qui avons un shop situé au fond d’un couloir. Ils attirent plus facilement les clients. Le client ne connait pas ici, c’est lui qui le connait et l’a emmené avec lui » (Majroie005P05)
Les artisans font peu état de leur rôle dans la promotion et la vente de leurs produits. Ils s’investissent très peu dans la communication, est-ce peut-être pour cela qu'ils sont moins capables de promouvoir leurs créations. Contrairement aux réparateurs, ils travaillent seuls, ils imaginent beaucoup et aiment découvrir. Leur apprentissage répond surtout à leur désir de découvrir, contrairement aux réparateurs pour qui l'apprentissage est lié au besoin économique immédiat.  Pour les réparateurs, la motivation à apprendre est surtout liée à la production et au gain économique qui en découle. Tandis que l’artisan recherche surtout la reconnaissance de sa connaissance.  
 « Dernièrement j’étais dans une camionnette, j’avais mon téléphone sur moi et ma femme m’a appelé.  J’ai répondu, j’ai dit allo.   Une dame a dit : « oh ! Ce monsieur est fou, il parle avec un morceau de bois… : je lui ai dit : comment osez-vous ? Puis je lui ai dit : écoutez … oh il parle vraiment ! » (P01, 2018).




















Figure1 : système d’actions mobilisées pour l’apprentissage du métier de réparation et de la vente des technologies mobiles de l’information et de la communication en situation informelle en Haïti



Système d’actions



Démarches d’apprentissages


Processus instrumentaux


Commercialisation     


·        Apprentissages autonomes
·        Apprentissages en interactions avec les autres 


·        Réparation 
·        Fabrication 
·        Vente



·        Organisation du travail
·        Marketing  
·        Vente des produits  

Système d’actions


Démarches d’apprentissages

Processus instrumentaux

Commercialisation     

·        Apprentissages autonomes
·        Apprentissages en interactions avec les autres 

·        Réparation 
·        Fabrication 
·        Vente


·        Organisation du travail
·        Marketing  
·        Vente des produits  
Conclusion
Les apprentissages réalisés dans le secteur économique informel de la vente et de la réparation des TMIC sont implicites. Ils ne peuvent pas être spontanément explicités parce qu’ils sont vécus en situation : soit dans des activités quotidiennes, le souvent liées à des productions de gains, soit à travers l’expérience individuelle ou avec ses pairs en communauté. L’apprentissage pour l’acquisition de nouvelles compétences, dans ce contexte, est un acte social et situé. Rendre compte de ces apprentissages revient à associer les démarches des professionnels pour apprendre les outils technologiques et le métier au contexte social, aux tâches qu’ils exécutent ou encore les activités qu’ils réalisent.  Dans le cadre de cet article, nous avons exposé les actions mobilisées par les professionnels du secteur informel de la vente et de la réparation des TMIC en Haïti pour s’approprier des outils technologiques et apprendre leur métier. Ces actions se présentent en un système composé de trois facteurs interreliés 1) les démarches d’apprentissages 2) les processus instrumentaux et 3) les activités commerciales. 




[i] Mon ami, si tu es nouveau apprend bien cette leçon. Quand on te pare de 6S on fait référence à l’IPhone et quand on te parle de s6 on te parle du Samsung. 

[ii] Dans le langage haïtien le blanc fait référence à tout ce qui est étranger.

[iii] Il me dit il n’y a pas de soucis, tu peux t’installer 


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L’Université de Laval.
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Harvard Buisiness review


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