vendredi 3 août 2018


CHUT! J’ECRIS
CHUT J'ECRIS
Atelier petits doigts parlant de droits 

J’écris parce que je le désire

Il n’est pas évident de pouvoir expliquer la préférence d’une activité à une autre, celle de la lecture aux feuilletons télévisées, par exemple, ou encore du foot ball aux mathématiques. Sauf que souvent ce choix est fondé sur la satisfaction que l’exercice procure et le désir inextinguible d’y revenir, d’y consacrer son temps et son énergie. Comme le dit Merieu (1988), ne viendront… au savoir que ceux qui, précisément, le savent désirable au point d’y consacrer des intérêts plus immédiats » (Merieu, 1988, p.87). Le grand bonheur de tout enseignant, de tout pédagogue ou tout éducateur serait alors de pouvoir susciter ce désir d’apprendre et de le soumettre à leur enseignement en temps voulu. Malheureusement, s’il est, plus ou moins, possible d’influencer le désir d’apprendre (Perrenoud, 2003), la réalité démontre qu’il n’est pas facile de le maintenir et encore moins de le contraindre. Souvent, les meilleures stratégies d’enseignement ou  encore les plus grands discours incitatifs font face à des échecs ou à des refus qu’il n’est pas facile d’expliquer. Alors, au lieu de chercher à soumettre un apprenant à un projet d’apprentissage, il serait peut-être plus bénéfique d’essayer la démarche inverse en se mettant au service de tout désir manifeste d’apprendre (Neill, Laguilhomie, & Mannoni, 1970) et de l’entretenir en multipliant les occasions pour qu’il se réalise : dans la pratique et à  travers des échanges.
Ce principe fut simplement appliqué et expérimenté au cours d’un projet d’atelier d’écriture avec un groupe de jeunes férus de littérature et d’écriture âgés de 10 à 17 ans. Recrutés sur la base d’une production littéraire libre, ces jeunes se réunissaient, hebdomadairement, en atelier pour produire des textes originaux sur les droits humains destinés aux enfants. Ce projet était inclus dans une entreprise plus large patronnée par la Fondation Konesanns Ak Libète (FOKAL) et l’ASF et a duré quatre mois. Pour de jeunes enfants non encore rompus au métier de l’écriture le défi était de taille. Il requérait non seulement le talent et la volonté mais aussi l’application de principes rigoureux, un investissement dans un travail long et laborieux. Ce dont, la plupart du temps, les jeunes préfèrent se passer. La question fondamentale était alors de savoir comment amener des jeunes de 10 – 17 ans à produire dans un court laps de temps des textes destinés à la publication sur une thématique qu’ils ne maitrisent pas, sans qu’ils ne perdent leur motivation ?  Ce pari fut lancé et réussi en alliant la passion de l’écriture à des expériences sociales à travers lesquels se vit l’expérience de l’apprentissage.
Présentation des textes du groupe JAH à la FOKAL le 7 avril 2018 


Présentation du projet

L’objectif poursuivi à travers ce projet fut donc d’offrir un accompagnement rédactionnel et thématique à des jeunes de 10 – 17 ans, dans la rédaction d’histoires sur les droits humains destinés à des enfants en utilisant le format de l’écriture collaborative dans des espaces de rencontres et d’échanges ouverts et non formels.
Pour recruter les enfants intéressés, une annonce fut faite dans deux grandes bibliothèques de la capitale et une école de la classe moyenne située dans un quartier chaud de la capitale, dit quartier de non droit. L’important n’était pas de recruter un grand groupe mais d’avoir un petit nombre d’enfants issus de milieux sociaux différents et de niveau scolaire différents ayant simplement en commun la passion de la littérature. Pour être admis, Il leur fut demandé de produire un court texte sur une page de 8 ½ x 11. Une cinquantaine d’enfants apportèrent leurs textes dans les différents endroits ciblés, mais uniquement 20 d’entre eux furent acceptés. Le projet fut, dans un second temps, exposé aux parents des enfants choisis et un formulaire de consentement leur fut soumis pour avoir leur acquiescement.
Une fois les formulaires reçus, le projet démarra le 9 décembre 2017. Il prit fin le 30 mars 2018. Dès vingt enfants reçus, 15 participèrent au projet du début à la fin, 9 d’entre eux produisirent des histoires, des articles et des poésies originales qui furent regroupés en une œuvre collective et soumis à une maison d’édition de la capital qui accepta de les publier. Les 7 autres jeunes avaient choisi de produire des textes traitant d’autres sujets que celui des droits humains, ils ne furent donc pas publiés mais ils reçurent, comme les autres un accompagnement rédactionnel. En quatre mois d’ateliers d’écriture, 9 jeunes sur quinze furent en mesure de produire des textes originaux sur la question des droits humains et de présenter leurs œuvres dans des panels au grand public : membres d’organisations de droits humains, avocats, écoliers, universitaires et éducateurs.
La méthode de la co-création appliquée dans le cadre de ce projet permit de réaliser le principe cité plus haut à savoir amener des enfants à apprendre en se mettant au service de leur désir d’apprendre et de l’entretenir par 1) le partage et 2) des expériences d’apprentissages non formelles.
Jeunes Auteurs Haïtiens (JAH)

J’écris parce que je partage

L’écriture suppose non seulement la capacité de transmettre avec exactitude, sur un support, sa pensée; ses connaissances, mais aussi la capacité de s’exprimer dans une communauté et de s’identifier à travers ses productions. Comme le souligne Beaudouin (2004), écrire permet d’ « entrer dans un partage qui autorise la socialisation. Par la lecture, par l’écriture collective, par les échanges, les conseils, les débats suscités, le texte acquiert un statut d’œuvre, il est discuté, apprécié diversement » (Beaudouin, 2004, p. 168).  Le processus d’écriture est donc «a social practice focuses on how students participate in a community through text production. (Wegener, 2017).

Partant de cette théorie, la méthode de la co création fut utilisée de manière à ce que le projet ne soit pas vécu comme un processus d’acquisition et de retransmission d’informations mais de préférence comme une expérience ontologique, de transformation sociale, de construction de soi et des autres.  Entre les encodages de sons, l’application de règles grammaticales et de syntaxe, l’analyse littéraire et les feedback des animateurs, les enfants se réunissaient en atelier, principalement,  pour communiquer leurs idées d’écriture ou l’état d’avancement de leur travail. Ils écoutaient les histoires des autres, les commentaient, partageaient ce qu’ils savent avec des références ou encore présentaient ce qu’ils ont produit pour les améliorer. Ainsi les histoires étaient-elles construites avec l’apport de tout un chacun, les textes étaient-ils déconstruits puis reconstruits en groupe. En 2011, Thompson, rapportait sur WIRED DIGITAL que l’auteur de Khan Academy certifiait que « … one way to teach writing online is to peer review. Have kids upload their writing so that the entire class can read and comment» (Thompson, 2011). L’écriture est fondamentalement une expérience sociale qui met dans une relation d’interdépendance l’auteur et ses lecteurs. L’œuvre écrite est donc collaborative : cette co-elaboration de sens commun passe par la construction progressive de connaissance sous forme écrite et leur diffusion a un groupe plus ou moins élargi (« Écriture collaborative — EduTech Wiki », s. d.).

J’écris parce que ce n’est pas contraignant

L’application de la méthode de la co création fit également ressortir l’importance des échanges libres, non dirigées, dans l’acquisition de nouvelles connaissances et l’application de conventions. Tout comme l’illustre Wenger (2005) dans sa théorie sur la communauté de pratique l’ «apprentissage collectif informel produit des pratiques sociales qui … contribuent à créer des mots de vocabulaire nécessaires à l’accomplissement de tâches. En outre, ces pratiques détournent la dimension monotone et routinière du travail en développant une atmosphère agréable faite de rituels, d’habitudes, d’histoires partagées » (Wenger, 2005). Quoi de plus fructueux, en effet, que les échanges d’idées produites dans un cadre informel : réseaux, groupes sociaux, clubs… non explicitement pédagogique.

Généralement, l’organisation des rencontres sortait de l’ordre canonique de déroulement des ateliers d’écriture. Tout s’organisait à partir des propositions de discussion faites qui tournaient autour de la question des droits humains à partir des textes lus, des films vus, mais principalement à partir des questionnements des enfants pour l’avancement de leurs textes. Une fois les propositions de discussions lancées, les enfants se regroupaient pour le partage en grand groupe et c’est à ce moment que les idées se construisaient et que les productions prenaient chaires. Enfin, ils se dispersèrent pour la pratique rédactionnelle soit seul soit en petit groupe dépendamment de leurs intérêts. Les propositions d’écriture étaient respectées par les animateurs présents, ces derniers étaient sollicités pour donner leurs feedbacks sur les plans linguistiques et cognitifs.
Atelier d’écriture JAH


Par ailleurs, la dimension de l’espace fut également prise en compte dans le cadre de ce projet vue son importance psychologique sur l’autonomie de l’expression individuelle et de groupe. Les différents travaux menés par Knowles (1975) ; Long (1989) et Hiemstra (1991) ont démontré, en effet, que l’autonomie de l’apprenant dans son processus d’apprentissage résulte des interactions existantes entre l’auto direction de ce dernier et le dispositif de formation. Un espace ouvert et flexible
procure à un apprenant « des libertés de choix, afin qu’il puisse exercer un contrôle sur sa formation et sur ses apprentissages » (Jézégou, 2005, p.103). Ainsi les enfants constituèrent-ils spontanément un club qu’ils nommèrent Jeunes Auteurs Haïtiens (JAH) et se réunissaient tous les samedis dans l’espace vide d’une bibliothèque pour discuter librement de l’avancement de leurs productions.
Par ailleurs, tenant compte de l’essor des usages des technologies de l’information et de la communication (TIC) et de leur intérêt pour les jeunes, un groupe whatsapp et une page wiki furent créés pour permettre au groupe de poursuivre ses échanges et ses discussions en dehors des heures de l’atelier. Ceci eut pour effet de propulser la liberté d’expression des jeunes enfants et leur apprentissage collaboratif.

dorit des enfant

jeanlouisdavi30 Jan 6, 2018
je pense que similien devrait enlever la phrase "Toi qui régit mes pas"
 amelie37 Jan 21, 2018
Ce poème m'inspire beaucoup !☺

Si le wiki était utilisé uniquement pour la rédaction et les commentaires de textes sur les droits humains qu’ils écrivaient en groupe ou individuellement, le whatsapp fut employé pour le partage de textes plus diversifiés: l’amour, l’amitié, la nature, la politique. Le plus que les expériences de partages libres se multipliaient le plus que la participation des enfants était active. Et leurs réponses à cela étaient simples:
« parce que c’est cool …  j’ai plus de confiance en moi (A. 14 ans);
j’apprends de nouveaux mots (T. 12 ans);
lorsqu’on est libre la réflexion est infinie (A. 14 ans) ;
je découvre ce que les autres ne comprennent pas … je cherche à me corriger pour faire mieux (M. 12 ans)».

Conclusion

Cette expérience d’écriture collaborative réalisée avec des enfants de 10 – 17 ans dans une ambiance de club a mis en exergue que allier désir d’apprendre à des expériences sociales dans un cadre d’apprentissage non contraignant (ouvert et flexible) favorise le développement de l’apprentissage. L’art d’écrire fut acquis à partir d’échanges de groupes, de dialogues et d’évaluation par les pairs. A travers leurs communications les enfants auditionnaient leur production, en découvraient les aspects cachés et en évaluaient l’effet à partir des réactions des autres. Ainsi, ils ont pu produire des histoires, des articles et des poésies et présenter leurs œuvres au grand public.
« J’apprends à mieux réfléchir en écrivant mon histoire avec les autres (C. 11 ans)».
Cette expérience leur a donc permis de construire leur imaginaire, de découvrir et d’identifier plusieurs styles littéraires, de construire un style personnel, et de développer un discours approprié.   
Il serait intéressant de chercher à connaitre les stratégies utilisées par ces enfants pour aboutir à leur production. Comment évaluaient-ils leur progrès, leur échec ? Quel fut leur niveau de satisfaction à chaque étape? Comment les caractéristiques suivantes : âge, niveau scolaire, communauté d’origine ont-ils influencé leurs productions? Ceci apporterait une large contribution à la réflexion sur le concept de l’apprentissage informel, qui jusque là n’est abordé qu’en milieu du travail professionnel ou dans la formation des adultes.

 Valérie PAYEN JEAN BAPTISTE  

Bibliographie

Beaudouin, M. (2004). Un atelier d’écriture en classe : place et rôle. IUFM de l’Academie d’Aix
Marseille, 168
Jézégou, A. (2012). La présence en e-learning : modèle théorique et perspective pour la
recherche. Revue de l'éducation à distance, Vol 26 n°1. Tiré de http://lllearning.free-h.net
Long, H. (1989). Self-directed learning - Emerging theory and practice. University of
Oklahoma, Norman.
Meirieu, P. (1987). Apprendre, oui mais comment. Paris, ESF.
Écriture collaborative — EduTech Wiki. (s. d.). Consulté 3 août 2018, à l’adresse http://edutechwiki.unige.ch/fr/%C3%89criture_collaborative#A_Taxonomy_of_Collaborative_Writing_to_Improve_Empirical_Research.2C_Writing_Practice.2C_and_Tool_Development
Neill, A. S., Laguilhomie, M., & Mannoni, M. (1970). Libres enfants de Summerhill. F. Maspero.
Perrenoud, P. (2003). Qu’est-ce qu’apprendre ? Enfances & Psy, no24(4), 917. https://doi.org/10.3917/ep.024.0009
Thompson, C. (2011). How Khan Academy is changing the rules of education. Wired Magazine, 126, 1–5.
Wegener, C. (2017). Co-Creating the Joy of Writing. In Co-Creation in Higher Education (p. 117130). SensePublishers, Rotterdam. https://doi.org/10.1007/978-94-6351-119-3_8